Sainte Euphrasie de Constantinople : l'enfance consacrée et la lumière de la Thébaïde-RELICS

Sainte Euphrasie de Constantinople : l'enfance consacrée et la lumière de la Thébaïde

Sainte Euphrasie de Constantinople, vierge consacrée du IVe siècle, est l’une des grandes figures féminines du monachisme primitif. Issue de la noblesse byzantine, apparentée à l’empereur Théodose Ier, elle renonce très tôt à toutes les richesses, promesses et privilèges de sa condition pour se retirer dans un couvent en Égypte. Dès l’âge de sept ans, elle s’abandonne entièrement à Dieu dans la pauvreté, l’humilité, la prière et l’ascèse.

Tant en Orient qu’en Occident, son nom est vénéré, sa vie admirée, et sa mémoire perpétuée. Elle figure parmi ces « épouses du Christ » qui, par leur pureté et leur radicalité spirituelle, ont laissé une empreinte durable dans la tradition chrétienne. Le récit de sa vie est connu principalement par une hagiographie transmise à travers les siècles, mêlant éléments historiques et édifiants, destinée à inspirer les fidèles.

Dans cet article, nous allons explorer en détail la vie de Sainte Euphrasie, son contexte historique, son cheminement monastique, les vertus qu’elle incarne, les miracles qui lui sont attribués, ainsi que la postérité de son culte.

 

relique Sainte Christine de Tyr

Reliquaire contenant une relique de Sainte Euphrasie sur elics.es

 

Naissance dans la lumière impériale

Sainte Euphrasie naquit à Constantinople vers 380, dans une famille de l’aristocratie impériale. Selon les traditions hagiographiques, elle serait parente de l’empereur Théodose Ier, l’un des grands protecteurs du christianisme naissant, qui déclara la foi chrétienne religion d’État en 380 par l’édit de Thessalonique. Son père, sénateur romain de haut rang, était un homme pieux et respecté.

Elle fut éduquée dans un environnement profondément chrétien, au moment où l’Empire romain d’Orient entrait dans une nouvelle ère de foi, de liturgie, et de débats théologiques. Mais à l’âge de cinq ans, son père mourut subitement. Sa mère, refusant de rester à Constantinople, choisit de s’installer avec sa fille en Égypte, dans la région de la Thébaïde, qui était alors un centre vivant du monachisme chrétien.

L’appel précoce : l’enfant et le désert

La Thébaïde, au sud de l’Égypte, était célèbre pour ses nombreux monastères, couvents, ermitages et « laures », où vivaient les premiers grands ascètes chrétiens — hommes et femmes — dans la tradition d’Antoine le Grand, de Pachôme et de Macaire. C’est là que la mère d’Euphrasie trouva refuge, auprès d’un couvent de vierges dirigé par une abbesse vénérable.

Euphrasie, bien que très jeune, fut profondément touchée par ce mode de vie. À sept ans, elle supplia sa mère de l’autoriser à faire vœu de virginité et à rester définitivement au couvent. Elle rejeta les promesses de richesse, de mariage, et même les honneurs dus à son rang. Sa mère, émue par la ferveur de sa fille, donna son accord.

La mort de la mère et la décision impériale

Quelques années plus tard, la mère d’Euphrasie mourut à son tour, laissant la jeune fille orpheline. La cour impériale, informée de cette situation, décida de la rappeler à Constantinople. L’empereur Arcadius, successeur de Théodose Ier, projeta de la fiancer à un noble de la cour et de lui restituer l’immense héritage de son père.

Mais Euphrasie, désormais adolescente, refusa catégoriquement. Dans une lettre adressée à l’empereur, elle écrivit :

« Seigneur, je suis l’épouse de Jésus-Christ. J’ai renoncé au monde et à ses vanités. Accordez-moi la grâce de demeurer dans mon désert, et d’y mourir pour Dieu. »

Impressionné par sa détermination, Arcadius renonça à ses projets et fit don de la part d’héritage d’Euphrasie aux pauvres, en accord avec ses vœux.

La vie monastique : humilité, obéissance, silence

Devenue pleinement moniale, Euphrasie choisit la voie de la plus grande humilité. Refusant tout statut particulier, elle demanda à commencer au bas de l’échelle, comme servante. Elle balaya les cellules, pétrit le pain, lava les pieds des pèlerins et puisa l’eau du puits. Elle dormit sur la terre nue, mangea des restes, jeûna souvent, pria de longues heures, et se voua au silence.

Elle refusa systématiquement tout honneur. L’abbesse tenta plusieurs fois de la promouvoir dans la hiérarchie du couvent, mais Euphrasie s’y opposa. Pour elle, servir était une grâce, non une obligation.

Ses compagnes l’admiraient pour sa douceur, sa patience, sa pureté de cœur, et sa charité discrète. Elle soignait les malades, réconfortait les novices, et s’abaissait toujours davantage.

Épreuves intérieures et combat spirituel

Comme tous les saints, Euphrasie connut des épreuves intérieures. L’ennemi spirituel la tenta parfois de retourner vers le monde, de regretter son héritage, ou de se croire supérieure par ses vertus. Mais elle sut toujours repousser ces pensées par la prière, l’humilité, et les conseils des sœurs plus âgées.

Un jour, une religieuse la calomnia injustement. Au lieu de se défendre, Euphrasie se prosterna, demanda pardon, et accepta une pénitence publique. Ce geste bouleversa la communauté, et même la calomniatrice, qui confessa sa faute en larmes.

Ce type d’attitude n’était pas une exception chez Euphrasie : c’était sa manière d’imiter le Christ, silencieux devant ses accusateurs, doux devant la violence.

Grâces et miracles

Au fil des années, des signes extraordinaires accompagnèrent la vie d’Euphrasie. Plusieurs récits parlent de guérisons miraculeuses obtenues par sa prière. Une enfant muette aurait retrouvé la parole en sa présence. Une possédée aurait été délivrée d’un démon simplement par le toucher de la sainte.

Mais jamais Euphrasie ne se glorifia de ces événements. Elle redoublait de discrétion, fuyant les louanges, se cachant pour prier. Elle disait : « Ce n’est pas moi, mais le Seigneur qui agit. Je ne suis qu’un vase de terre. »

La mort et la gloire de la simplicité

Vers l’an 410 ou 412, alors âgée d’environ 30 ans, Euphrasie tomba gravement malade. Elle accepta sa condition avec joie, considérant la maladie comme une dernière offrande à Dieu. À ses sœurs rassemblées autour d’elle, elle dit :

« Ne pleurez pas. Je vais rejoindre mon Époux. Priez seulement pour que je sois trouvée digne. »

Elle rendit l’âme en paix, entourée de lumière, selon le témoignage des sœurs présentes. Une douce odeur se répandit dans la cellule. Son corps fut enseveli au couvent, et une chapelle fut construite plus tard sur son tombeau.

Le culte et la postérité

Très vite, la mémoire de Sainte Euphrasie fut honorée dans les communautés chrétiennes d’Égypte, puis de Constantinople. Son nom entra dans les synaxaires byzantins, et son exemple fut cité par de nombreuses abbesses.

Son culte se répandit en Orient comme en Occident. Sa fête est célébrée :

  • Le 13 mars dans plusieurs Églises orientales,

  • Le 24 juillet dans le Martyrologe romain.

Des reliques furent probablement transférées à Constantinople, puis partagées entre différents sanctuaires. Certaines sources mentionnent une église dédiée à son nom à Rome au Moyen Âge, aujourd’hui disparue.

Sainte Euphrasie aujourd’hui : une figure toujours parlante

Dans notre époque moderne, marquée par la dispersion, le bruit, l’obsession du paraître et de la consommation, l’exemple de Sainte Euphrasie a quelque chose de radicalement subversif. Elle rappelle la valeur de la simplicité, du silence, de l’intériorité, de la fidélité dans le secret.

Elle montre qu’une vie peut être grande sans jamais être publique, qu’une sainteté peut rayonner sans projecteurs, qu’il est possible d’« être » sans « paraître ».

Pour les religieux, religieuses, les contemplatifs, mais aussi pour tous les croyants en quête de profondeur, Euphrasie demeure un modèle d’union à Dieu par le dépouillement, la charité humble et la prière persévérante.

Conclusion

Sainte Euphrasie de Constantinople n’a jamais fondé d’ordre, rédigé d’écrits, ni participé aux conciles. Et pourtant, son nom est resté gravé dans la mémoire de l’Église. Elle est le témoin de l’enfance offerte, de la virginité consacrée, de l’amour sans éclat pour Celui qui voit dans le secret.

Son désert fut fécond. Son silence fut prière. Sa petitesse fut grandeur.

 

SOURCES

 

  • Peter Brown, Le renoncement à la chair. Virginité, sexualité et pouvoir dans l'Antiquité tardive, Le Cerf, 2012.

  • Jean-Marie Sansterre, Les Vierges consacrées dans l’Antiquité chrétienne, Brepols, 2003.

  • Sébastien Morlet, Les Pères de l’Église, Presses Universitaires de France, 2020.

  • Lucien Regnault, La vie quotidienne des Pères du désert, Éditions de Solesmes, 1990.

Retour au blog

Laisser un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approuvés avant d'être publiés.