Nicolas Albergati, chartreux italien devenu évêque de Bologne puis cardinal, incarne une figure rare dans l’histoire ecclésiastique : celle d’un homme de prière enraciné dans la contemplation monastique, appelé à des fonctions politiques et diplomatiques majeures dans une Europe en quête d’équilibre religieux et géopolitique. Son parcours illustre la tension féconde entre la solitude de la cellule et la charge du gouvernement ecclésiastique. Il participa aux grands enjeux du concile de Bâle, œuvra pour la paix entre royaumes européens, et sut allier rigueur morale, douceur de caractère et efficacité politique. Béatifié en 1744, il laisse l’image d’un prélat humble, discret mais décisif, qui, sans bruit, façonna son époque.

Relique du sang de Nicolas Albergati sur relics.es
Origines et jeunesse
Une famille noble bolonaise
Nicolas Albergati naît en 1373 à Bologne, dans l’une des plus anciennes et des plus nobles familles de cette cité. Les Albergati sont bien insérés dans la vie politique locale et disposent de moyens financiers confortables. Dès l’enfance, Nicolas est élevé dans un environnement où la foi catholique est profondément enracinée. Il reçoit une formation classique, centrée sur la grammaire, la rhétorique et les premiers éléments du droit, dans la tradition des jeunes hommes de sa classe sociale. Ses maîtres louent sa douceur de caractère, son intelligence vive et son penchant pour les choses spirituelles.
Un appel précoce à la vie religieuse
À l’adolescence, Nicolas montre une inclination marquée pour la solitude, la méditation et la prière. Très tôt, il exprime le désir de se retirer du monde pour se consacrer à Dieu. Ce choix étonne sa famille, qui espère pour lui une carrière brillante dans l’administration ou l’Église séculière. Mais Nicolas insiste, et en 1394, à l’âge de 21 ans, il entre dans l’ordre des Chartreux à la chartreuse de Saint-Jérôme de Casara, près de Bologne.
Chartreux : la vie cachée dans le silence
L’esprit de la Chartreuse
L’ordre des Chartreux, fondé par saint Bruno au XIe siècle, est l’un des plus austères de la chrétienté. Il combine la solitude de l’ermite et la stabilité de la vie communautaire. Les chartreux vivent en cellules individuelles, dans le silence, le jeûne, la prière liturgique et la méditation de l’Écriture. Cette existence recluse attire les âmes assoiffées d’absolu. Nicolas s’y épanouit rapidement. Il adopte sans réserve la rigueur de la règle, développe une vie intérieure profonde, et devient rapidement maître des novices, puis prieur.
Un moine estimé
Malgré sa jeunesse, les supérieurs de l’ordre remarquent sa sagesse, sa capacité d’écoute et son discernement. Il est régulièrement consulté sur des questions disciplinaires et théologiques. Son influence dépasse peu à peu les murs du monastère. Des prélats, des théologiens et même des princes lui demandent conseils et avis. Pourtant, Nicolas ne cherche ni à briller ni à sortir de son cadre monastique : tout ce qu’il fait, il le fait dans l’humilité et l’amour du Christ.
Évêque de Bologne : l’appel inattendu
Une nomination surprenante
En 1417, le pape Martin V, soucieux de restaurer l’autorité pontificale après la fin du Grand Schisme d’Occident, nomme Nicolas Albergati évêque de Bologne. Ce choix, inattendu, surprend le principal intéressé. Nicolas refuse d’abord, arguant de son manque d’aptitude et de son attachement à la vie monastique. Mais sous l’insistance du pape et de ses supérieurs, il accepte finalement, considérant cet appel comme une nouvelle obéissance divine.
Un pasteur attentif et réformateur
En tant qu’évêque, il garde le style de vie le plus simple possible. Il conserve l’habit chartreux sous les ornements pontificaux, mange frugalement, prie longuement et vit dans une sobriété remarquable. Il visite régulièrement son diocèse, combat les abus du clergé, veille à la formation du clergé et à la qualité de la liturgie. Il prend soin des pauvres, crée des œuvres de charité, fonde des écoles et restaure la discipline ecclésiastique. Il refuse les honneurs et distribue ses revenus épiscopaux aux hôpitaux et aux œuvres pieuses.
Cardinal de l’Église romaine
Création au cardinalat
En 1426, Martin V élève Nicolas Albergati à la dignité de cardinal. Il devient cardinal-prêtre de Santa Croce in Gerusalemme, l’une des basiliques majeures de Rome. Cette nomination vise autant à honorer sa vertu qu’à le mettre à la disposition du Saint-Siège pour des missions de haute importance. Bien que cette charge le sorte encore davantage de son désir de retrait, Nicolas l’accepte avec le même esprit d’obéissance et de service.
Diplomate du Saint-Siège
Dès lors, Albergati devient l’un des plus éminents diplomates du pontificat. Il est envoyé dans de nombreuses missions pour rétablir la paix entre princes chrétiens. Il négocie notamment entre la France et l’Angleterre pendant la guerre de Cent Ans, cherche à apaiser les tensions entre les États pontificaux et les seigneuries d’Italie, et tente de réunir les Églises d’Orient et d’Occident.
Il intervient avec habileté et douceur, sans jamais céder sur les principes de la foi. Il est écouté pour sa droiture, son absence d’intérêt personnel et sa réputation d’homme de Dieu. À une époque où la diplomatie ecclésiastique est souvent entachée de compromissions, Nicolas Albergati brille par son intégrité.
Engagement dans les conciles : Pavie-Sienne et Bâle
Le concile de Pavie-Sienne (1423–1424)
Le cardinal Albergati participe activement au concile de Pavie-Sienne, convoqué pour réformer l’Église et résoudre les divisions post-schismatiques. Il plaide pour un renforcement de la papauté, tout en soutenant les efforts de réforme. Son attitude modérée et conciliante évite plusieurs ruptures graves entre les différentes factions ecclésiales.
Le concile de Bâle (1431–1439)
Le rôle de Nicolas devient crucial au concile de Bâle, l’un des plus longs et des plus complexes de l’histoire. Opposé à certains courants conciliaristes (qui voulaient donner au concile une autorité supérieure au pape), Albergati défend la primauté pontificale, tout en reconnaissant le besoin urgent de réformes. Il cherche une voie médiane : affirmer l’autorité du pape tout en corrigeant les abus et en rendant l’Église plus fidèle à l’Évangile. Il participe aussi aux discussions œcuméniques visant à réconcilier les Églises orientales et occidentales.
Humaniste et ami des arts
Le protecteur de Jan van Eyck
Nicolas Albergati n’est pas seulement un homme de Dieu et un diplomate ; il est aussi un protecteur des arts et un homme de culture. Il est célèbre pour avoir été portraituré par le grand peintre flamand Jan van Eyck vers 1432. Ce portrait, conservé aujourd’hui à la Kunsthistorisches Museum de Vienne, est l’un des chefs-d’œuvre de la Renaissance naissante. Il représente le cardinal en profil, vêtu de son habit cardinalice, avec une intensité de regard et une finesse psychologique rarement atteintes à l’époque.
Cette œuvre montre non seulement l’influence d’Albergati, mais aussi la reconnaissance de son autorité morale et spirituelle dans l’Europe cultivée de son temps.
Ouverture à l’humanisme chrétien
S’il reste fidèle à la rigueur chartreuse, Albergati ne rejette pas les idées nouvelles. Il soutient les débuts de l’humanisme chrétien, encourage la diffusion des manuscrits, le développement des écoles et la réforme des études théologiques. Il prône une Église instruite, cultivée et proche des réalités humaines.
Dernières années et mort
Un retrait progressif
Les dernières années de Nicolas sont marquées par un retour au silence. Bien qu’encore sollicité par la Curie, il aspire de plus en plus à la retraite spirituelle. Il continue à conseiller les papes et les princes, mais avec une réserve croissante. Il consacre davantage de temps à la prière, à la méditation et à la préparation de sa mort.
Mort à Sienne
Il meurt le 9 mai 1443 à Sienne, alors qu’il accompagnait le pape Eugène IV. Ses derniers mots auraient été : « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains. » Son corps est d’abord inhumé à Sienne, mais ses reliques seront ensuite transférées à Bologne, dans l’église San Girolamo della Certosa, qui conserve encore aujourd’hui sa mémoire.
Béatification et postérité
Béatification par Benoît XIV
Nicolas Albergati est béatifié en 1744 par le pape Benoît XIV, lui aussi originaire de Bologne. La béatification reconnaît la sainteté de vie du cardinal chartreux, son esprit de charité, sa fidélité à l’Église et son zèle pour la paix. Il est fêté le 9 mai, jour de sa mort.
Mémoire et postérité
La mémoire du bienheureux Nicolas Albergati perdure dans l’ordre des Chartreux, dans le diocèse de Bologne et chez les diplomates ecclésiastiques. Il est considéré comme un modèle de prélat équilibré, alliant vie intérieure et service public, rigueur doctrinale et souplesse pastorale. Le portrait que Jan van Eyck a laissé de lui contribue à perpétuer son souvenir auprès des historiens de l’art.
Conclusion
Le bienheureux Nicolas Albergati est une figure singulière et précieuse dans l’histoire de l’Église. Moine humble et silencieux, il fut aussi un évêque vigilant, un cardinal engagé, un diplomate de paix et un homme de culture. Dans une époque de tensions religieuses, de guerres, de divisions, il incarna l’idéal d’unité, de réconciliation et de fidélité évangélique.
Son influence, bien que discrète, fut immense : il contribua à la stabilité du Saint-Siège, à la réforme de l’Église et à la pacification de l’Europe chrétienne. Il ne rechercha ni la gloire ni le pouvoir, mais servit avec constance, foi et humilité. En cela, il demeure un modèle toujours actuel pour ceux qui exercent des responsabilités dans l’Église comme dans le monde.