Pourquoi le diable est-il représenté mi-homme, mi-bouc ?
Le diable, ange déchu, fait partie intégrante de la religion chrétienne. Symbole du mal, du péché, de la tentation, bref de tous les "vices" de la nature humaine, il a bénéficié au cours du temps de nombreuses représentations. Mais les attributs du bouc (cornes, bouc, sabots...) sont ceux que l'on lui prête le plus souvent. Pourquoi cette image a-t-elle été retenue ?
Tete de diable en bois sculpté sur Relics.es
Dans l'antiquité, le panthéon latin se montrait plutôt ouvert et les gaulois n'ont pas eu trop de mal à poursuivre leur religion. Mais aux IIè et IIIè siècle, une nouvelle religion tente de s'implanter dont le dieu unique, apparu sous forme d'un homme, a été crucifié en Palestine... Les chrétiens, farouchement monothéistes, repoussent petit à petit les anciennes religions et s'imposent progressivement en occident.
Bougeoir representant le diable sur relics.es
Mais il ne suffit pas de quelques lois pour bousculer les croyances de tout un peuple : si le christianisme s'implante plutôt bien dans les sphères aristocratiques citadines, il peine cependant à gagner les campagnes.
Gravure La tentation de Saint Antoine sur Relics.es
La Bible chrétienne ne consacre que quelques passages au diable et ne décrit pas son apparence. Dans la Genèse, le serpent qui tente Eve est étroitement associé à Satan, mais de nombreux théologiens pensent que la composition de la Genèse est antérieure au concept du diable. On trouve des passages faisant allusion à la déchéance de Lucifer dans les livres d'Isaïe et d'Ézéchiel. Le Satan de l'Ancien Testament n'est pas l'opposé de Dieu, mais un adversaire comme le montre son rôle dans le Livre de Job.
Dans le Nouveau Testament, Satan est devenu une force du mal. Il tente de convaincre Jésus de renoncer à sa mission : « Je te donnerai tout cela, si tu te prosternes et que tu m'adores » (Matthieu 4: 9). Il est décrit comme un chasseur d'âmes. Le premier épître de Pierre nous avertit : « Disciplinez-vous, restez vigilants. Le diable rôde comme un lion à l'affût d'une proie à dévorer » (I Pierre 5: 8). Dans le livre de l'Apocalypse, Satan est devenu une bête apocalyptique, déterminée à renverser Dieu et le ciel.
Le dieu caractéristique des campagnes est le vieux dieu Pan, originaire de la mythologie grecque. Dieu du tout et de la nature, il arbore de longs poils sur les jambes, des sabots de bouc, des cornes et des oreilles de chèvre. Afin de discréditer les païens, l'Eglise s'est donc saisi de leur dieu pour la représentation du diable, incarnation du mal.
Au Moyen Âge, l'apparence du diable change radicalement. Une mosaïque du VIe siècle de la basilique Saint-Apollinaire-Nuovo de Ravenne, en Italie, représente le Jugement dernier et la figure satanique sous la forme d'un ange bleu éthéré. Cette image angélique sera finalement abandonnée au profit d’une apparence plus démoniaque.
Beaucoup de traits animaux du diable peuvent être attribués à des influences de religions antérieures. L'un des premiers a été trouvé dans les textes babyloniens anciens - des démons nommés Lilith. Ces démons féminins ailés volent la nuit, séduisant les hommes et attaquant les femmes enceintes et les nourrissons. Dans la tradition juive, ces démones ont évolué pour devenir Lilith, la première femme d'Adam. Lilith en est venue à incarner la convoitise, la rébellion et l’impiété, des traits plus tard associés au diable chrétien. Belzébuth est une autre divinité ancienne associée à Satan, dont le nom signifie « Seigneur des mouches ». Belzébuth était une divinité cananéenne, nommée dans l'Ancien Testament comme une fausse idole que les Hébreux devaient fuir.
Les représentations du diable ne sont cependant pas restées uniformes au long de l'histoire et selon les artistes. Figure paradoxale, il est tantôt terrifiant et repoussant, tantôt séducteur pour représenter la tentation.
Plus ou moins humanisé, ses visages sont multiples : écailles de serpent (symbole même du péché), spectre, humain décharné aux ongles et dents pointues, arborant des ailes (rappel de son statut d'ange déchu), à la peau rouge pour rappeler les flammes...
Si ses représentations sont multiples, les rôles qu'il incarne n'en sont pas moins divers : le diable se retrouve souvent dans les contes ou les farces pour symboliser les petits vices humains.
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